CETA, Accords UE-Mercosur, où en sommes-nous ?

Tous les mois, les Centres d’Information Europe Direct de la Nouvelle-Aquitaine vous proposent un exemple d’action concrète de l’Union européenne sur une partie de notre territoire.

 

Pour le mois d’avril, l’équipe de la Maison de l’Europe de Lot-et-Garonne/CIED Moyenne Garonne a interviewé Jacques LOUGE Conseiller au CESER (Conseil Economique, Social et environnemental Régional) de Nouvelle Aquitaine, représentant l’agroalimentaire (Aria Na).

La forte médiatisation des accords commerciaux européens, liée notamment au traité CETA avec le Canada ou au projet avec le Mercosur, pourrait laisser penser que le libre-échange est courant et privilégié par les États. Mais la réalité est toute autre : historiquement, le commerce libre de droits douaniers et de barrières est une exception.

L’Union européenne est en soi un exemple notoire d’accord multilatéral (qui dépasse évidemment les seules questions commerciales), puisqu’elle a mis en place une zone de libre-échange de biens et de services entre ses États membres. Le libre commerce est ainsi au cœur même, historiquement et idéologiquement, de la construction européenne. 

Du point de vue du commerce extérieur, la Commission européenne considère que l’ouverture économique apporte des « avantages considérables à l’Union » et attribue aux bienfaits du commerce extérieur près de 30 millions d’emplois européens.

Qu’en pensez-vous ?

« Je considère que l’ouverture économique offre avant tout des opportunités et des avantages potentiels pour L’UE et ses entreprises. Les bienfaits attendus dépendront bien sûr des conditions d’élaboration des traités. »

La politique commerciale de l’UE s’inscrit dans la tradition libre-échangiste qu’elle a formée depuis la création de la CECA (Communauté Économique du Charbon et de l’Acier). Les plus récents engagements et professions de foi des institutions européennes mettent largement en avant la perspective d’un commerce international libre de droits douaniers.

Pourtant, certaines mesures de protection des intérêts de l’UE laissent planer le doute sur l’efficacité des stratégies libre-échangistes clamées par la Commission. On peut considérer que, sous certains aspects, l’UE protège volontairement les intérêts de son économie contre la concurrence étrangère au moyen d’outils tarifaires – droits de douanes – et non tarifaires – quotas, normes, etc.

Selon vous, qu’en est-il réellement ?

« La protection de l’économie par la création d’outils tarifaires à l’entrée des marchandises me semble appartenir à des logiques passéistes qui ont largement démontré leurs effets directs et indirects particulièrement néfastes. Se protéger en bâtissant des murs et des barrières physiques ou immatérielles relèverait d’un constat de profonde faiblesse. »

 

L’Accord économique et commercial global (AEGC) entre l’Union européenne et le Canada (CETA) réduit drastiquement les barrières tarifaires et non-tarifaires, mais traite également de nombreux aspects liés à l’exportation de biens et de services et à la mise en place d’un cadre d’investissement stable et favorable aux entreprises européennes et canadiennes.

En pratique, il doit réduire la quasi-totalité – près de 99% – des barrières d’importations, permettre aux entreprises canadiennes et européennes de participer aux marchés publics, de services et d’investissements de l’autre partenaire et renforcer la coopération entre le Canada et l’UE en termes de normalisation et de régulation.

Pourquoi parle-t-on autant de cet accord ?

« S’agissant de l’agroalimentaire français notre position à l’international est en recul et nous sommes passés de la seconde place à la cinquième en 10 ans. Ceci bien avant les accords internationaux dont nous parlons. Nous devons donc nous interroger sur la différence qui existe entre notre réputation fondée sur notre culture gastronomique, l’excellence et la diversité de nos produits et la réalité économique. Notre secteur d’activité est cité souvent comme contributeur excédentaire à notre balance commerciale pour environ 7 milliards d’euros. Mais si on considère que la filière vins et spiritueux y contribue à hauteur de 11 milliards, sans elle nous serions déficitaires à hauteur de 4 milliards. La stratégie doit être donc résolument offensive pour inverser la tendance et conquérir avec nos armes différenciantes les parts de marché à l’exportation. Se saisir des traités internationaux parait donc essentiel. »

 

Les prévisions économiques :

La mise en œuvre du CETA permettrait aux Etats membres de l’UE de soutenir leur croissance par l’extension des marchés accessibles aux entreprises, la baisse des droits tarifaires, l’accession des marchés publics canadiens et l’échange soutenu de technologies et de savoir-faire.

En conséquence, le traité favoriserait la compétitivité des entreprises européennes tout en étant, selon la Commission européenne, favorable aux consommateurs par des normes de qualités maintenues et des baisses de prix. La Commission européenne estime que le CETA devrait accroître de 25% les échanges commerciaux UE-Canada et entraînerait une augmentation du PIB de l’UE de 12 milliards d’euros par an.

Il permettrait de favoriser l’emploi en Europe. Les études économiques soutenant le CETA estiment que pour chaque milliard d’euros investi par l’UE, 14 000 emplois seraient soutenus. 

Qu’en pensez-vous ?

« Face à la détérioration des marges des industries agroalimentaires à la suite de la guerre des prix mortifère conduite par la grande distribution en France, les deux stratégies pour améliorer nos rentabilités sont l’innovation et l’exportation, souvent par ailleurs cumulées. S’agissant des accords internationaux les peurs s’expriment souvent alimentées par des informations erronées ou des risques certes réels mais souvent annulés au fil des négociations. Ces dernières doivent se dérouler pour préserver nos intérêts et, une fois l’accord conclu et accepté, il convient de laisser un temps pour l’expérimentation avec des clauses de revoyure pour modifier les dérives potentielles. C’est ce qui est notamment prévu pour le CETA. »

Toutefois, le CETA n’est pas exempt de critiques.  Le blocage de trois gouvernements régionaux de Belgique (Wallonie, Bruxelles et Communauté linguistique francophone), qui avaient refusé dans un premier temps de donner le feu vert à leur gouvernement pour la ratification du traité, est symptomatique des réticences qui animent partenaires sociaux, producteurs et associations.

Premier point de blocage : le règlement des différends et le système d’arbitrage en cas de désaccord.

Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ? Pour vous, quels sont les risques ?

« Comme pour tout accord il est normal de prévoir le règlement de conflits par des arbitrages. Outre les tribunaux d’arbitrage un tribunal d’instance et une cour d’appel publics composés de juges nommés par les pouvoirs publics avec une limitation numéraire des cas de recours sont inscrits dans le traité. Le risque relevé est celui lié à des actions potentielles devant les tribunaux d’arbitrages d’investisseurs puissants- comme des multinationales-qui pourraient contester ou freiner des actions d’États comme par exemple prises pour la préservation du climat. Le tribunal d’instance et sa cour d’appel en sont donc les garde- fous. Mais là aussi laissons la période expérimentale se dérouler et n’oublions pas que le CETA entré en vigueur en septembre 2017 doit être ratifié par chaque État membre de l’UE au niveau des 38 parlements nationaux…. »

Deuxième point : Quel est l’impact de ce traité sur l’agriculture des États membres ?

« Le CETA permet à 92% des produits agricoles et agroalimentaires d’être exportés sans droits de douane, à 143 produits sous signe d’origine et de qualité d’être reconnus et protégés à l’identique que dans l’UE. Pour notre Nouvelle Aquitaine citons notamment le pruneau d’Agen, le jambon de Bayonne, le foie gras du Sud-Ouest. Ajoutons à cela la conservation de quotas pour certains produits sensibles tels les viandes de bœuf, de porc, le maïs doux, certains produits laitiers … Pour d’autres, comme les fromages, les contingents autorisés feront plus que doubler ouvrant de réelles opportunités commerciales. Enfin les volailles et les œufs sont exclus du traité. Si les conditions permettant un développement de nos exportations sont avancées, les résultats attendus dépendront des dynamiques et notamment des mutualisations. Rappelons que sous l’appellation « industrie » attachée à l’agroalimentaire se cache une réalité méconnue :98% des IAA sont des PME/TPE dont 77% des TPE. D’où l’impérieuse nécessité de « chasser en meute » sur des marchés de l’exportation. »

Enfin, le processus de négociation du CETA s’est également attiré les critiques de la société civile en raison de la relative opacité.

Pourquoi tant de mystères ?

« Ne confondons par discrétion et opacité. Tout acte de négociation doit se dérouler dans une nécessaire discrétion pour toutes bonnes raisons : respecter les évolutions des discussions, les argumentations et les consensus qui émergeront. Et ne pas interférer sur des dossiers très techniques négociés par familles de produits dans la perspective d’un accord global. Il sera bien temps ensuite de faire des annonces et une pédagogie nécessaire. La direction générale du commerce dont le commissaire européen est Cécilia Malstrom s’appuie sur 10 commissions d’experts nommés par les gouvernements (Forum) dirigés par Ignacio Bercero, chef des négociations. Le résultat de ce travail est ensuite soumis au Parlement et à la Commission de l’UE avant ratification par chaque État membre. Lorsque les sujets arriveront devant nos deux chambres parions sur une ouverture des débats ! »

 

L’accord Union Européenne – Mercosur a récemment soulevé la colère des agriculteurs.

 Plusieurs raisons à cette colère, parmi lesquelles la perspective d’un accord de « de libre-échange, que négocient l’Union européenne et [quatre pays du] Mercosur » : le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, et le Paraguay 

La question agricole cristallise les tensions :

Cet accord aurait pour objectif de faciliter les relations commerciales en abaissant les barrières douanières, tarifaires, non tarifaires aussi, les normes, et d’une manière générale les formalités administratives. La Commission européenne estime qu’il devrait « permettre aux exportateurs européens d’économiser quelque 4 milliards d’euros de droits de douane par an« . En retour, les marchés européens s’ouvriraient également aux pays du Mercosur.

Mais sous quelles conditions ? Y a-t-il des risques ? Si oui, lesquels ?

« Le Mercosur relève d’autres enjeux notamment pour les filières bovines et volailles , le sucre et l’éthanol. La puissance de ces filières en Argentine, Bolivie, Brésil et Paraguay, les différences de normes impliquent la plus grande prudence afin de protéger non seulement nos entreprises mais aussi la santé de nos concitoyens et notre modèle alimentaire sur ses piliers fondateurs que sont la qualité, la diversité et la santé publique. Compte tenu de ces aspects l’ANIA préconise « d’intégrer le plus amont possible, lors des négociations de cet accord le retour du terrain et les priorités des professionnels »

Il s’agira d’être, pour les pouvoirs publics, cohérents avec les demandes formulées dans les Assises de l’Alimentation et les encouragements à « monter en gamme ». »